Artiste

Rachid Allagui
Rachid Allagui la création avant tout

Date de naissance: 09-07-1940

Rachid Allagui se définit lui-même, avant tout, comme un artiste et un amoureux fou des arts. C’est un artisan dans le sens étymologique du mot, un amoureux du bel ouvrage pour qui « créer c’est vivre et vivre c’est créer ». Créer est un besoin quotidien, implacable et omniprésent. Inventer, chercher, expérimenter, s’essayer à tout, c’est le chemin qu’il a choisi depuis maintenant plus de 65 ans. Et quelles que soient les difficultés rencontrées, Rachid Allagui ne s’est jamais détourné de la création. Celle-ci est plurielle comme pour tous les artistes formés aux Ecoles des Arts et Métiers mais aussi parce qu’il est difficile, voire impossible, de vivre et d’entretenir une famille avec la peinture en Tunisie ; donc, à coté de ses toiles, il a exploré plusieurs métiers mais toujours en rapport avec les arts : professeur de dessin et de peinture, créateur de meubles, décorateur d’intérieur, concepteur de chars, de marionnettes et de pavillons pour le carnaval de Cologne, dessinateur d’affiches et même expert en œuvres d’art auprès des tribunaux… Rachid Allagui est un touche à tout, un artisan de l’art, un peintre figuratif qui se moque des tendances et du marché officiel, un amoureux du savoir-faire, un acharné qui travaille plus de six heures chaque jour pour entraîner sa main, aiguiser son regard, enrichir sa palette. Et quand il ne peint pas, il photographie la vie, il la croque dans les rues, les cafés, en Allemagne, en Tunisie, mémorisant chaque image, chaque histoire pour les restituer un jour ou l’autre sur une toile. Aujourd’hui les artistes figuratifs sont ignorés à tel point qu’on a l’impression que l’art dit « classique » n’existe plus. Il a été remplacé par des œuvres consacrées par l’infantilisme, le déni du savoir-faire, la provocation gratuite, l’absurde ou le sadisme. Mais lorsque la transgression devient la norme, la tradition ne deviendrait-elle pas elle-même réellement transgressive ? Rachid Allagui se moque des tendances ou du marché de l’art, il aime et respecte la tradition et les peintres du passé qui savent regarder le monde et le sublimer. Car, pour cet homme, créer c’est, avant tout, exprimer ce que les mots sont incapables de dire. C’est remettre le discours derrière l’art et non plus, comme trop souvent aujourd’hui, l’art derrière le discours. Créer c’est, dans le cadre restreint d’une toile, la possibilité de changer le monde, de dire le monde, d’être le monde. Pour Rachid, la magie de l’art réside dans le message intrinsèque et universel que chaque œuvre doit véhiculer et communiquer. Avec Rachid, l’art marche toujours main dans la main avec la vie. Car, finalement, qu’est-ce qu’un artiste, si ce n’est un humain qui, par ses sens, crée de nouvelles cosmogonies et transfigure le monde réel ? Car, c’est bien de cela qu’il s’agit dans les peintures de Rachid Allagui : la transfiguration du monde et de la condition humaine. Pour l’artiste, « sans art il n’y a pas de culture et sans culture il n’y a pas de civilisation » . Si l’art ne peut pas changer le monde, il contribue cependant à changer la vision que l’on a de celui-ci, en mettant en lumière ceux qui sont invisibles, en créant des moments de partage, en tissant des liens entre les hommes… Et, au-delà de l’art et de la culture, c’est bien la question centrale, essentielle, celle qui anime toutes les toiles d’Allagui : la question de l’humain, le « Nous » fraternel. « Je suis, nous sommes. Il n’en faut pas davantage. A nous de commencer. C’est entre nos mains qu’est la vie » . Ce « Nous », c’est la possibilité pour tous les êtres humains de vivre ensemble dans un environnement de diversité sociale et culturelle. Ce « Nous », c’est partager harmonieusement un lieu de vie dans le respect de la différence de chacun, c’est accepter et construire une « sociabilité sans aliénation » de l’autre. Ce « Nous », c’est la question fondamentale de l’humanité. Et c’est celle-ci que Rachid a tenté d’élucider, tout au long de son existence, à travers son œuvre mais également à travers sa vie d’homme car il n’y a pas de coupure entre l’homme et l’artiste. C’est cet homme qui place l’individu, l’humain son semblable, au cœur de ses tableaux que je me propose de vous faire découvrir à travers cette monographie. Celle-ci abordera la production du peintre par le biais thématique et non chronologique pour diverses raisons, la plus importante étant que l’artiste n’a pas gardé de traces de ses œuvres anciennes ni de la plupart de ses tableaux vendus. Cependant, Rachid Allagui n’ayant eu de cesse d’exploiter des concepts ou sujets récurrents, traiter son œuvre à travers l’axe thématique semblait s’imposer. Huile sur toile, 60 x 80 cm, 1998 Quelques éléments biographiques Rachid Allagui est né le 15 juillet 1940 à l’orée de la Médina de Tunis, à Bab el Fella. Il y grandit dans une famille de neuf enfants. Son père était commerçant et sa mère femme au foyer. Sa prime jeunesse a été marquée par la guerre. De novembre 1942 à mai 1943, la quasi-totalité de la Tunisie se trouve sous l’occupation allemande, Hitler et Mussolini n’ayant de cesse d’accumuler des renforts en Tunisie pour protéger l’Italie et tenter de reconquérir l’Afrique du Nord. Le pays souffre de la guerre mais aussi des bombardements massifs de l’aviation américaine qui s’acharne sur les ports et notamment le port de Tunis situé non loin de la maison du petit Rachid. Tout est rationné : le gaz, l’électricité et même l’eau. Un de ses frères sera touché par un éclat d’obus et l’aîné de la famille, Mohamed, 22 ans, décédera de la fièvre typhoïde. En mai 1943, la Tunisie est libérée par les armées françaises, britanniques et américaines. La vie reprend son cours et le jeune Rachid aime traîner du côté de Bab Alioua, quartier majoritairement peuplé d’italiens qui fabriquaient des charrettes et des calèches. Une fois la carriole achevée un artiste peintre venait la décorer avec des fleurs et des motifs géométriques aux multiples formes et coloris. Celui-ci utilisait des pigments qu’il mélangeait avec du barouq, de l’huile siccative , pour obtenir toutes les couleurs souhaitées et préparait lui-même ses pinceaux à l’aide de roseaux auxquels il fixait des poils de queue de cheval, créant ainsi des outils magnifiques de différentes tailles. Le petit Rachid était fasciné par la transformation opérée par l’artiste et il s’enthousiasmait particulièrement en voyant le peintre Khammar à l’œuvre. Celui-ci remarqua la présence de cet enfant qui l’observait avec curiosité et lui proposa de lui faire découvrir ses œuvres qui s’étendaient dans de multiples domaines. C’est ainsi, qu’un jour, Monsieur Khammar l’emmena chez un menuisier à Halfaouine pour lui montrer les décorations qu’il réalisait sur les meubles (étagères, armoires, tables basses, lits à baldaquin… et même tringles à rideaux). Un autre jour, il le conduisit chez d’autres artisans où il se mettait à peindre des babouches, des bracelets ou des ceintures. Ce fut tout un monde merveilleux qui s’offrit à l’enfant. Cette diversité de l’expression artistique attisa la curiosité de Rachid qui se mit, lui aussi, à décorer toutes sortes d’objets. Devant sa passion et la qualité de son travail, son grand frère, Khemais Allagui, l’inscrivit en secondaire à l’école des Beaux-Arts, rue de la Grande Armée à Bab Assel / Bab Sidi Abdessalam. C’est ainsi que sa carrière d’artiste-peintre débuta à l’âge de 15 ans. Il devait faire une année en tant qu’élève aspirant, année durant laquelle il se fit immédiatement remarquer de par son style naïf, si particulier. Sa peinture reflétait son premier contact avec l’art à travers les charrettes aux couleurs vives. Ses premières années aux Beaux-Arts ont été marquées par la gouache, l’aquarelle et des motifs aplatis, sans ombre ni relief, style qui était très apprécié à l’époque. Passé en Terminale, il changea de style et travailla le figuratif avec de la peinture à l’huile en se basant sur l’ocre jaune car il était très impressionné par les impressionnistes Matisse, Van Gogh, Cézanne et Gauguin. Il fut encouragé en ce sens par ses professeurs, Henri Saada, l’un des peintres tunisiens majeurs du XXème siècle, Jacques Arnaud, peintre français moderne à la figuration libre et Pierre Berjole, membre du groupe de Montparnasse avec Paul Cézanne, avant de se tourner vers le style orientaliste. Le jeune Rachid sera fortement marqué par la technique de ces trois peintres, la parfaite maîtrise du dessin, les grandes figures largement construites d’Arnaud, l’utilisation de la couleur, mais surtout les contrastes d’ombres et de lumières qui marquent le style singulier d’Henri Saada. En 1958, après avoir achevé ses études, Rachid Allagui décide de parcourir le monde et ses merveilles : d’abord le Caire et l’Italie avant de traverser toute l’Europe en scooter. Sa soif de vivre, de découvrir, de visiter villes, monuments et musées est insatiable ; il parcourt toutes les grandes capitales : Paris, Amsterdam, Vienne, Berlin, Oslo… n’ayant sur lui que le strict minimum, quelques affaires de rechange, des outils pour réparer son scooter et des fusains. Quant à l’argent, il le gagne au fur et à mesure de ses déplacements en effectuant de menus travaux. En 1961, il s’en va parfaire ses connaissances aux Beaux-Arts de Paris. Etudiant engagé par les grandes causes de son époque et bien sûr par l’indépendance de l’Algérie, notre artiste se rapproche du FLN et est obligé de fuir en Allemagne pour éviter une rafle. Il entre aux Beaux-Arts de Cologne où il reprend le style naïf avant de s’essayer au noir et blanc. Repéré par le Professeur Schaftmeister, celui-ci l’initiera à la création de vitraux. Durant ses études, Rachid doit être hospitalisé durant plus de 6 semaines pour une opération de l’estomac. C’est à cette occasion qu’il rencontre celle qui allait devenir sa femme. Infirmière, Brigitte Auener avait fui quelques années auparavant l’Allemagne de l’Est en s’échappant de la fenêtre de la gare de Friedriechstrasse à Berlin. Cette belle allemande, aventureuse et courageuse, sera l’amour de sa vie. Elle le suivra partout et lui donnera deux enfants. En 1965, ayant achevé ses études, il revient en Tunisie avec son épouse où il débutera une carrière de professeur de dessin tout en continuant à peindre. Il est aussitôt contacté par le Gouverneur de la région qui lui demande de faire l’affiche du premier Festival de la jeunesse à Bizerte. Une affiche qui, aujourd’hui encore, est l’emblème de ce festival. Désireux d’exposer ses œuvres et de montrer son savoir-faire, Rachid Allagui ouvre en 1970 une agence d’architecture d’intérieur dénommée « Art Déco » et se lance dans l’aménagement des hôtels. Il participera notamment à l’agencement et à la conception du mobilier de l’hôtel Amilcar, situé entre les baies de Carthage et de Sidi Bou Saïd, qui comptait parmi les fleurons de la côte nord de Tunis. Réputé dans l’aménagement de stands et de chars de foire, les villes font appel à lui lors de festivals : Festival d’Aoussou à Sousse, Festival de la vigne à Grombalia, sans oublier la décoration de la ville du Kef et le Festival de Monastir. Décorateur, architecte, entrepreneur, Rachid met à contribution sa créativité pour vendre ses produits ; il ouvre ainsi une usine de meubles dont il dessine tous les modèles. En 1975, il est recruté par la Cour d’appel de Tunis comme Expert judiciaire. Huile sur toile, 60 x 80 cm, 2004 Bien que Rachid Allagui ait conservé durant toutes ces années son atelier de peinture à Bab el Fella, dans la maison de son enfance, il faut attendre 1986 et son retour à Cologne, avec son épouse, pour qu’il puisse enfin se consacrer entièrement à son art : la peinture. Il reçoit, à ce moment-là, la nationalité allemande. En 1990, à l’occasion des 25 ans de jumelage entre la ville de Cologne et celle de Tunis, Rachid Allagui est contacté par le bourgmestre de Cologne pour décorer l’Office du Tourisme. Il s’ensuit une nouvelle étape dans la carrière de l’artiste qui entame une collaboration active et fructueuse avec de multiples galeries et collectionneurs ainsi qu’avec le comité du carnaval de la ville. Cette même année, Rachid ouvre sa propre galerie d’art dans le centre de Cologne. En 1999, il obtient une bourse qui lui permet de finaliser son troisième cycle aux Beaux-Arts de Paris et à l’Académie de la Grande Chaumière. A cette occasion, il est invité en résidence à la Cité des Arts de Paris où il exposera. Rachid Allagui à la Cité des Arts de Paris L’année 2006 est marquée par le décès de son épouse. En 2011, il rencontre Martina Köpping, céramiste, originaire de Leipzig, qui deviendra sa seconde épouse. Depuis 1985, Rachid Allagui vit et travaille dans sa galerie colonaise où il organise de nombreuses expositions tout en continuant de former et d’encourager de jeunes artistes. Rachid Allagui dans sa galerie colonaise en compagnie de l’auteur Ses œuvres ont été exposées dans le monde entier : en Europe (Paris, Londres, Prague, Vienne, Budapest, Stockholm, Copenhague…), en Amérique, au Caire, à Istanbul… Et, bien sûr, en Tunisie et en Allemagne. Elles enrichissent de nombreuses collections publiques - Institut du monde arabe, Ambassade de Tunis à Berlin et à Paris et Ambassade d’Allemagne à Tunis, Consulat de Tunis à Bonn, Fondation Aga Khan à Paris…- mais la plupart de ses œuvres appartiennent à des collectionneurs privés.

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